Un peu d'histoire

SICILE ET NORMANDIE HISTOIRE

Au début du XIe siècle, quelques aventuriers venus de Normandie arrivent en Italie. D'abord mercenaires, ils imposent leur domination dans le Sud. Robert de Hauteville s'empare du duché de Naples en 1049 tandis que son frère Roger enlève la Sicile aux Arabes entre 1061 et 1091.  Son fils Roger II lui succède en 1101 et devient le premier roi de Sicile.
Située au cœur de la Méditerranée, la Sicile occupe un espace stratégique. Phéniciens, Grecs, Carthaginois, Romains, Byzantins et Arabes s'y sont succédé en y laissant de nombreux vestiges archéologiques. L'implantation des Normands au XIe siècle est très rapide. En moins de 60 ans, ils se constituent un vaste empire qui s'étend du sud de l'Italie à la Tunisie. Les Normands savent tirer profit des divisions qui opposent alors les émirs de Sicile. Face à une population majoritairement musulmane mais qui compte aussi de nombreux juifs et chrétiens orthodoxes, les Normands jouent en quelque sorte le rôle d'arbitre et mettent en place un système politique original mêlant des apports divers coutumes locales et se tourne progressivement vers Byzance. Le roi s'appuie sur toutes les populations, intègre les musulmans à la cour et concentre tous les organes du pouvoir, toute l'autorité à Palerme, interdisant ainsi la constitution de fiefs locaux dans son empire. Son pouvoir est centralisé et fort, mais le roi reste tolérant et ouvert sur toutes les cultures. Dans la période mouvementée des croisades, la Sicile fait figure d'exception. Chacun y pratique librement son culte, quelles que soient ses coutumes et ses mœurs. À la cour, on parle l'arabe autant que la langue d'oïl, mais encore le latin et le grec que le roi maîtrise parfaitement.

Au royaume de Sicile, à cheval sur la Méditerranée et sur deux continents, l'arabe fournit un principe d'unité et de continuité avec le passé. Renouant avec les califes* abbassides*, Roger II encourage l'épanouissement d'une culture arabe riche et variée. Palerme rayonne alors dans toute la Méditerranée et accueille d'excellents artistes et savants comme al-Idrîsî. Dirigée par le roi lui-même, sa Géographie affirme pleinement, en arabe, la gloire d'un royaume riche et pacifié, et celle d'un prince sage, serviteur du savoir.

Roger II de Sicile en habit byzantin Mosaïque. Église de la Martorana. Sicile, Palerme. L'église Sainte-Marie-de-l'Amiral est fondée en 1143 par Georges d'Antioche. L'entrée est décorée de deux mosaïques, l'une représentant le fondateur et l'autre le couronnement de Roger II. Ce dernier a succédé à son père en 1101 comme duc de Sicile, puis il a soumis le sud de l'Italie et est devenu roi de Sicile et d'Italie du Sud avec Palerme pour capitale.

 

 Christ en majesté de l'église de l'église du monastère de Monreale: les mosaiques dorées témoignent de l'influence de la culture byzantine.

LES TANCREDE DE HAUTEVILLE

Cathédrales Normandes

Cefalù

Cathédrale

1131

    La cathédrale de Cefalù, construite sur la volonté expresse de Roger II, représente le premier mausolée de la dynastie siculo-normande des Hauteville. Elle représente également la première et plus importante tentative de syncrétisme artistique et architectural entre l’Orient, byzantino-fâtimide et l’Occident, normanno-clunisien.
Les grandes voûtes d’arêtes du choeur rappellent les premières expériences structurales analogues de Lessay.
Le chevet, proche des conceptions austères de l'architecture normande prémontrée - grands oculi et contreforts supportant les couvertures coniques -  a subi des adaptations formelles dictées par les exigences des décorations intérieures et extérieures : les contreforts massifs furent profilés en colonnettes géminées, les oculi furent murés à l’intérieur afin de ne pas interrompre le programme iconographique des mosaïques.
Le plan est en croix latine, nef à trois vaisseaux et transept saillant couronné par un déambulatoire. Les trois absides sont de même composition que les typologies normandes de même époque : chevet échelonné avec une abside centrale plus prononcée. Les vaisseaux de la nef, sans tribunes, sont divisées par des rangées de colonnes probablement prélevées sur des édifices de la fin de l’époque romaine.
Les couvertures sont en charpente, avec sur la nef centrale un berceau de bois peint de motifs musulmans, rares et inappréciables.
Les mosaïques comptent parmi les plus précieuses de l'art médiéval, de par leur haute inspiration théologique et leur beauté raffinée. La figure puissante du Christ Pantocrator, qui se détache dans la voûte de l’abside, est réalisée en utilisant un effet stéréoscopique suggestif sur la surface hémisphérique. Sereine et majestueuse, la figure de la Vierge est entourée par les Anges. Pour compléter le cycle, les personnages de l'Ancien et du Nouveau Testament, les patriarches et les saints les plus connus de la tradition normande.

Cathédrales Normandes

 




Le terme architecture normande est employé pour décrire le style roman créé par les Normands dans les diverses territoires sous leur domination ou leur influence aux XIe et XIIe siècles. Ils ont introduit tout à la fois un grand nombre de châteaux et de fortifications, y compris des donjons normands que, en même temps, des monastères, des abbayes, des églises et des cathédrales, dans un modèle caractérisé par des arches rondes (en particulier au-dessus des portes et des fenêtres) et des proportions massives.

Ces styles romans nés en Normandie se sont répandus dans le nord de l’Europe occidentale, particulièrement en Angleterre, pays qui a considérablement contribué au développement de ce style et qui en conserve le plus grand nombre d’exemplaires. À peu près à la même époque, une dynastie normande a régné en Sicile où elle a produit une variation distincte, également connue sous le nom d’architecture normande, ou alternativement, d’architecture romane sicilienne, qui incorpore des influences byzantines et sarrasines.

Sommaire

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Origine du terme, évolution vers le gothique [modifier]

La cathédrale de Messine

Ce terme a peut-être été lancé par des archéologues au XVIIIe siècle, mais son utilisation au sein d’un enchaînement de styles a été attribué à Thomas Rickman dans son ouvrage de 1817 An Attempt to Discriminate the Styles of English Architecture from the Conquest to the Reformation (Essai de distinction des modèles d’architecture anglaise de la Conquête à la Réforme) qui a employé les catégories « gothique normand, gothique primaire, gothique curvilinéaire et gothique perpendiculaire ». Charles de Gerville ayant utilisé, dans une lettre adressée à son ami Arcisse de Caumont en 1818, le terme plus inclusif de « roman » pour qualifier les langues romanes, ce dernier reprit le terme « roman » pour l’appliquer à l'architecture des XIe et XIIe siècles dans son Essai sur l'architecture du moyen âge, particulièrement en Normandie datant de 1824.

Lorsque les tailleurs de pierre ont développé leur style et expérimenté avec des manières de surmonter les difficultés géométriques des plafonds en voûtes d'arêtes, ils ont introduit des agencements, tels que la voûte en berceau brisé, qui seront, par la suite, caractérisés comme de style gothique.

Comme les historiens et les spécialistes de l’architecture considèrent qu’un style doit être évalué de façon intégrale plutôt que comme un agrégat de caractéristiques, certains mettent ces développements au compte des modèles normand ou roman tandis que d’autres les décrivent comme « gothique normand transitoire ». Quelques sites Web[1],[2], emploient le terme de « gothique normand », mais il est peu clair s’ils se réfèrent au modèle transitoire ou au modèle normand dans son ensemble.

L’architecture normande en Normandie [modifier]

L’Abbaye aux Hommes de Caen
Article détaillé : Architecture médiévale normande .

Lorsque les envahisseurs vikings atteignent l’embouchure de la Seine en 911, les seigneurs francs bâtissaient des châteaux et combattaient à cheval. Au cours du siècle à venir, les Normands adopteront ces coutumes avec le christianisme et la langue française. Les barons normands construiront des châteaux en bois sur des monticules de terre qui donneront lieu au développement des châteaux à motte féodale et des grandes églises en pierre dans le style roman propre aux Francs. Dès 950, ils érigeront des donjons en pierre (voir aussi Logis seigneurial).

Les Normands raffineront le plan des premières basiliques longitudinales avec des bas-côtés latéraux, une abside et une façade occidentale dotée de deux tours avec l’abbatiale Saint-Étienne de Caen, commencée en 1067, qui servira de modèle aux cathédrales anglaises de plus grande taille dont la construction débutera vingt ans plus tard.

L’architecture normande en Angleterre [modifier]

La cathédrale d’Ely

Les nobles et les évêques normands étaient influents en Angleterre avant la conquête normande de 1066. Les influences normandes ont également affecté l’architecture anglo-saxonne tardive dans la mesure où Édouard le Confesseur, qui avait été élevé en Normandie, avait fait venir des maçons en 1042 pour travailler à l’abbaye de Westminster, premier édifice de style roman en Angleterre. En 1051, il avait fait venir des chevaliers normands qui construisirent des mottes castrales de défense contre les Gallois. Après l’invasion, les Normands édifièrent des châteaux à motte féodale et des fortifications plus recherchées comme des donjons normands d pierre, ainsi que des églises et des abbayes.

Les édifices normands présentent des formes géométriques simples de proportions massives, la maçonnerie comportant de petites bandes de sculpture, peut-être d’arcades aveugles et des espaces concentrés de capitales et des portes rondes et dans le tympan sous une voûte. La « voûte normande » est une voûte ronde. Les moulures normandes sont sculptées ou incisées avec des ornements géométriques, tels que des voûtes rondes en forme de chevron. Les églises cruciformes avaient souvent un chœur profond et une croisée du transept carrée qui est demeurée caractéristique de l’architecture ecclésiastique anglaise. Des centaines d’églises paroissiales ont été construites et les grandes cathédrales anglaises ont été fondées à partir de 1083.

Après qu’un feu eut endommagé la cathédrale de Cantorbéry en 1174, les architectes normands introduisirent la nouvelle architecture gothique. Vers 1191, la cathédrale de Wells et la cathédrale de Lincoln imposèrent le modèle gothique anglais et le style normand devint de plus en plus souvent réservé aux bâtiments provinciaux de taille modeste.

Architecture religieuse [modifier]

La cathédrale de Durham

Architecture privée [modifier]

Architecture normande en Écosse [modifier]

L’abbaye de Dunfermline

L’Écosse, avec la présence de la noblesse normande à la cour du roi Macbeth autour 1050, a également subi l’influence du gothique normand. Son successeur, Malcolm III, l’a renversé avec l’aide des Anglais et des Normands et sa reine Sainte Marguerite d'Écosse a encouragé l’ Église catholique. Les Bénédictins ont fondé un monastère à Dunfermline. Son quatrième fils qui est devenu David Ier a construit la chapelle Sainte Marguerite au début du XIIe siècle.

Architecture religieuse [modifier]

L’architecture normande en Irlande [modifier]

Les Normands se sont installés principalement dans l’est de l’Irlande où ils ont construit beaucoup d'édifices normands comprenant le château de Trim et le château de Dublin.

L’architecture normande en Sicile [modifier]

Le cloître de Monreale

La période normande de la Sicile a duré d’environ 1070 jusqu'à environ 1200, et même peut-être jusqu’à la mort de l’empereur Frédéric, en 1250, ce qui la met à peu près à égalité avec la même période en Angleterre.

Comparable à de nombreux égards à l’architecture normande qui a évolué en Angleterre et dans le nord de la France, l’architecture normande en Sicile incorpore également certaines influences de l’architecture byzantine. Ces motifs byzantins sont particulièrement évidents dans l’intérieur de certaines églises où les autels normands traditionnels ont été décorés de mosaïques dorées comme dans la cathédrale de Monreale.

La Chapelle Palatine du Palais des Normands de Palerme datant de 1130 dont l’intérieur du dôme (lui-même d’origine byzantine) est décoré de mosaïques représentant le Christ Pantocrator accompagné de ses anges constitue sans doute l’exemple le plus représentatif de cet amalgame.

Des influences du gothique primaire durant l’ère normande postérieure en Sicile se font sentir notamment dans la cathédrale de Messine, consacrée en 1197, quoique le haut campanile gothique lui soit postérieur et ne doive pas être confondu avec le précédent, de style gothique, construit pendant la période normande et qui comportait des fenêtres et des voûtes brisées au lieu des arc-boutants et des pinacles qui allaient apparaître plus tard dans le style gothique.

Édifices normands à Palerme [modifier]

La Chapelle Palatine de Palerme

Édifices normands en Sicile [modifier]

Liens internes [modifier]

Liens externes [modifier]

L’église de San Cataldo

Références [modifier]

  • Marcel Anfray, L'architecture normande, son influence dans le nord de la France aux XIe et XIIe siècles, Paris, Picard, 1939
  • (it) Giulio Arata, Atlante di storia dellarchitettura arabo-normanna e del Rinascimento in Sicilia, Palermo, Librarie siciliane, 1986
  • (it) Francesco Basile, L'architettura della Sicilia normanna, Catania, V. Cavallotto, 1975
  • Maylis Baylé, L'architecture normande au Moyen Age, Condé-sur-Noireau, éditions Charles Corlet ; Caen, Presses universitaires de Caen, 2001 ISBN 2841331350
  • (it) Corrado Bozzoni, Calabria normanna. Ricerche sull'architettura dei secoli undicesimo e dodicesimo, Roma, Officina, 1974
Le Palais de la Cuba
  • John Britton, Augustus Pugin, Alphonse Le Roy, Antiquités architecturales de la Normandie : contenant les monuments les plus remarquables de cette contrée (architecture romane & ogivale) présentés en plans, élévations, coupes, détails, vues perspectives intérieures et extérieures, Paris, Noblet, 1855
  • (it) Guido Di Stefano, Monumenti della Sicilia normanna, Palermo, Società Siciliana per la Storia Patria, 1979
  • E. C. Fernie, The architecture of Norman England, Oxford ; New York, Oxford University Press, 2000 ISBN 0198174063
  • (en) Wolfgang Krönig, The cathedral of Monreale and Norman architecture in Sicily, Palermo, S.F. Flaccovio, 1965
  • Élie Lambert, L'Architecture normande au Moyen âge d'après de récentes publications, Caen, Jouan & Bigot, 1928
  • Bryan D. G. Little, Architecture in Norman Britain, London, B.T. Batsford, 1985 ISBN 0713437820
  • Martin Meade, Werner Szambien, L'architecture normande en Europe : identités et échanges du XIe siècle à nos jours, Marseille, Parenthèses, 2002 ISBN 2863641107
  • (de) Hans-Rudolf Meier, Die normannischen Königspaläste in Palermo : Studien zur hochmittelalterlichen Residenzbaukunst, Worms, Wernersche Verlagsgesellschaft, 1994 ISBN 3884629417
  • Victor Marie Charles Ruprich-Robert, L'architecture normande aux XIe et XIIe siècles en Normandie et en Angleterre, Paris, Imprimeries réunies, 1889

 

LA NORMANDIE DE 911 A 1204

Le duché de Normandie au XIIe siècle

Le traité de Saint-Clair-sur-Epte en 911 marque la naissance du duché de Normandie[1]. Dépassé par les raids vikings qui razzient son royaume, le roi des Francs, Charles le Simple, décide de négocier avec un chef scandinave du nom de Rollon. Un accord entre les deux hommes est donc conclu à Saint-Clair-sur-Epte. Le Viking reçoit les pays voisins de la Basse-Seine à charge pour lui de les défendre au nom du roi des Francs. Nous ne savons pas exactement l’extension de ce territoire[2]. En tout cas, il sera à la base de la Normandie, étymologiquement le "Pays des Hommes du Nord" en vieux norrois[3].

Le roi des Francs, Raoul, agrandit la concession faite au comte Rollon. En 924, il lui octroie la Normandie centrale (Bessin, Pays d'Auge et Hiémois ?). Neuf ans plus tard, en 933, ce même roi abandonne au fils de Rollon, Guillaume Longue Épée, le Cotentin et l’Avranchin concédés autrefois par les Français aux Bretons. À cette date, le duché de Normandie recouvre à peu près la province ecclésiastique de Rouen, autrement dit la quasi-totalité de la région d’aujourd’hui. Mais il n’est pas sûr que son chef dominait effectivement tout ce territoire. Jusqu’au règne de Richard Ier (942-996), la moitié occidentale semble échapper à l’autorité des comtes normands installés à Rouen[4].

Les Normands s’installent dans la durée (911-1035) [modifier]

L’histoire des premiers comtes de Normandie reste assez mal connue. Notre principale source est l’œuvre panégyrique d’un chanoine, Dudon de Saint-Quentin.

La tâche première des comtes (devenus ducs vers 1010) consiste à s’installer dans la durée en Normandie. Les révoltes intérieures, les invasions des puissants voisins (le comte de Flandre, le comte de Blois), les minorités des princes (Richard Ier puis Richard II) manquent d’entraîner la disparition de la jeune Normandie. Alors qu’ailleurs les Vikings doivent refluer face à la reprise en main des rois, les Normands parviennent, en recourant parfois à l’aide militaire de troupes scandinaves, à se maintenir au pouvoir et à construire un État solide. Rollon et ses successeurs gouvernent comme de vrais princes, affirmant leur autorité et reprennent l’héritage administratif de Charlemagne. La paix et la sécurité revenues dans la région, les évêques retournent dans leur cité épiscopale et les moines dans les abbayes.

Guillaume le Conquérant, de bâtard de Normandie à roi d’Angleterre (1035-1087) [modifier]

Par son destin exceptionnel, Guillaume le Conquérant est assurément le duc de Normandie qui reste le plus dans les mémoires. Pourtant, ses débuts sont compliqués. Il se retrouve duc dès l’âge de 8 ans, suite à la mort de son père, Robert le Magnifique. Profitant de la jeunesse de l’héritier, nombre de barons normands se libèrent de la tutelle ducale et mènent leur propre guerre. La Normandie se couvre de châteaux, souvent de simples mottes ou des enceintes de terre. Le jeune Guillaume est le spectateur impuissant de cette anarchie. L’assassinat de quelques membres de son entourage l’incite à se tenir dans un premier temps tranquille.

Les principaux châteaux du duché de Normandie au XII.

Guillaume se décide à réagir quand un complot de barons vise à l’assassiner à son tour. Il a presque 20 ans. Guillaume rassemble alors ses fidèles, obtient l’aide militaire du roi de France Henri Ier pour mater les rebelles. Val-ès-Dunes, au sud-est de Caen, est le lieu de rencontre entre ces derniers et l’armée ducale. Guillaume remporte ici sa première victoire. Nous sommes en 1047. À partir de ce moment, le duc reprend en main son duché. Il reconquiert ou abat les châteaux élevés par les barons pendant sa minorité. Il poursuit les derniers infidèles qui refusent de le reconnaître pour duc.

Le roi, Henri Ier de France, constatant la réussite de son voisin, retourne sa veste. Par deux fois, il envahit la Normandie, aidé du comte d'Anjou, mais son armée sombre à Mortemer puis dans les marais de la Dives. Vainqueur, Guillaume passe à l'offensive. Il annexe le Passais (la région de Domfront dans l'Orne), intervient dans les affaires de Bretagne et installe son fils Robert Courteheuse comme comte du Maine (1063). Mais l’œuvre la plus connue et la plus considérable de Guillaume le Conquérant, c’est la conquête de l'Angleterre en 1066.

La tapisserie de Bayeux nous raconte les étapes de ce succès. Le roi d’Angleterre, Édouard le Confesseur, meurt en 1066. Le chef de l’aristocratie anglo-saxonne, Harold, lui succède. Or, selon la Tapisserie, le feu roi aurait considéré Guillaume comme son héritier. Le duc de Normandie s’estime floué et ose un débarquement dans le sud de l’Angleterre pour récupérer son bien. Harold vient à sa rencontre à Hastings mais perd la bataille et meurt. La route de Londres est ouverte. Le 25 décembre 1066, Guillaume le Conquérant reçoit la couronne d’Angleterre. La puissance du duc change alors de dimension. La Normandie n’est plus une simple puissance régionale, elle s’installe pour un siècle et demi sur l’échiquier international.

Visages et paysages de la Normandie des XIe ‑ XIIe siècles [modifier]

Nef romane de l’abbaye aux Dames. Ce monastère fut fondé à Caen par Mathilde, femme de Guillaume le Conquérant.

Plusieurs signes attestent de la richesse du duché. C’est d’abord une des régions françaises les plus peuplées. L’historien Lucien Musset a estimé la population, en 1184, à 700 000-800 000 habitants (contre plus de trois millions aujourd’hui)[5]. Un tel nombre permet et exige une mise en valeur intensive des terres. Avant tout, les Normands sont donc des paysans. Les plateaux normands sont couverts de cultures céréalières (froment, avoine, orge). Par contre, la production cidricole et l’élevage bovin sont encore loin d’être des spécialités régionales. Le niveau technique des campagnes est plutôt avancé avec l’utilisation d’une charrue améliorée, l’apparition de la herse et du moulin à vent. Mais combien de paysans normands bénéficient de cet équipement ?

Plus qu’une période de prospérité, notion toute relative au Moyen Âge, les XIe et XIIe siècle doivent être vus comme un temps de croissance. Ce mouvement n’a d’ailleurs rien de bien original à cette époque dans l’Occident chrétien. Signe de dynamisme, la population ne cesse de croître. Il faut donc défricher des forêts et des landes pour ouvrir de nouvelles terres à la culture. Des villages et des hameaux (dont le nom se termine souvent en -erie ou en -ière accolé au patronyme de leur propriétaire) naissent au milieu de clairière ou à l’orée des bois. Les seigneurs construisent des moulins à eau auprès des rivières et augmentent ainsi la productivité de leur domaine[6].

Les villes forment un monde très minoritaire par rapport à ce monde rural. Pourtant la Normandie a une capitale très peuplée : Rouen (peut-être 40 000 habitants). La cité profite de sa position sur l’un des axes primordiaux du commerce français : la Seine. Des marchands et des artisans s’enrichissent et émergent peu à peu de la société urbaine. Ils revendiquent bientôt une place dans la gestion de la ville.

Les autres villes d’origine antique (Lisieux, Sées, Bayeux, Évreux) se relèvent aussi après les raids vikings. Récupérant l’excédent de la population rurale, elles sortent de leur vieille enceinte romaine. Ce premier réseau urbain est complété par la multiplication de bourgs en campagne. Ces nouveaux lieux de peuplement sont créés à l’initiative de seigneurs laïcs ou ecclésiastiques autour d’un marché, d’un pont ou d’un monastère. Les plus nombreux s’établissent auprès d’un château qui garantira aux futurs habitants un refuge en temps de guerre. Ainsi émergent Saint-Lô, Fécamp, Valognes, Cherbourg, Dieppe, Falaise, Alençon, Argentan... Certains de ces bourgs connaissent un tel développement qu’ils rattrapent les anciennes villes. Caen représente la meilleure réussite. Dotée d’un château et de deux abbayes par Guillaume le Conquérant, elle connaît une telle croissance démographique et un tel dynamisme qu’elle devient la deuxième capitale de la Normandie[7].

L’organisation ecclésiastique du duché de Normandie.

Le rayonnement culturel de la Normandie est à la mesure de la puissance du duché. Les monastères normands, restaurés dans leur richesse foncière, redeviennent des foyers intellectuels. L’abbaye du Bec dispense un enseignement renommé pendant que du Mont-Saint-Michel, sortent de magnifiques manuscrits enluminés. Bien que les Vikings ne possédaient pas une tradition de bâtisseurs, les Normands édifient de beaux édifices religieux : les deux abbayes de Caen, celles de Bernay, Cerisy-la-Forêt, Boscherville et Jumièges mais aussi les églises paroissiales de Quillebeuf, Thaon ou Ouistreham sont autant de réussites de l’art roman en Normandie[8]. Un art suffisamment remarquable pour qu’il soit exporté en Angleterre après 1066. La conquête de la Sicile et du sud de l’Italie par des chevaliers du Cotentin élargit le rayonnement de la civilisation normande jusqu’en Méditerranée.

Dans la seconde moitié du XIIe siècle, la Normandie perd de son éclat par rapport aux régions voisines. La cour d’Angleterre, animée par la reine Aliénor d'Aquitaine, occulte la cour normande tandis que l’Île-de-France voit l’éclosion des premières églises gothiques.

La Normandie anglaise ou l’Angleterre normande (1087-1135) ? [modifier]

Sous le règne de Guillaume le Conquérant, la Normandie est avec la Flandre la principauté la mieux tenue et la mieux administrée de France. Sur son lit de mort, le Conquérant âgé de 60 ans environ, arrange sa difficile succession. Il a trois fils : l’aîné, Robert Courteheuse recueille le duché, le second, Guillaume le Roux, reçoit la couronne d’Angleterre et le dernier, Henri, ne récupère qu’une somme d’argent.

Aussitôt le Conquérant mort (1087), l’anarchie reprend dans le duché comme au temps de la minorité du défunt. Le nouveau duc, le prodigue Robert Courteheuse, n’a pas la même autorité que son père. Il laisse les barons combattre entre eux et élever des châteaux sans son autorisation. Le désordre est accentué par la rivalité entre les trois frères. La situation se clarifie en 1100 quand le roi d’Angleterre Guillaume Le Roux trouve accidentellement la mort. Henri, le cadet, obtient de l’aristocratie anglaise le trône vacant. Il ne compte pas en rester là. En 1105, il débarque en Normandie et bat en 1106 son frère aîné Robert à Tinchebray. Henri s’empare alors de la couronne ducale. L’union anglo-normande est ainsi reconstituée mais cette fois, à partir de l’Angleterre. Avec ce nouveau duc-roi, la Normandie reprend son essor interrompu par vingt ans de troubles.

Comme son père Guillaume le Conquérant, Henri Ier d’Angleterre (surnommé Henri Beauclerc pour sa culture) est un grand duc-roi, sage, rusé et énergique. Pour certains historiens, son règne correspond à l’apogée du duché de Normandie. On retiendra parmi les coups d’éclat du fils du Conquérant :

  • la mise à bas définitive de la seigneurie de Bellême (Orne) dont les titulaires, propriétaires d’une quarantaine de châteaux, narguaient le pouvoir du duc de Normandie depuis la fin du Xe siècle
  • la bataille de Brémule, une victoire de plus contre le roi de France Louis VI.

Les moyens financiers et militaires fournis par l’Angleterre ne sont pas étrangers au succès d’Henri Beauclerc sur le continent. Par ailleurs, il a le souci de doter son vaste État d’une meilleure administration. Contraint de partager sa présence entre les deux rives de la Manche, il élabore en conséquence un système d’institutions permanentes. Le roi installe une sorte de vice-roi en Normandie, le justicier qui gouverne à sa place lors de ses séjours en Angleterre. Un corps d’officiers itinérants rend la justice en appel, fait exécuter les ordres du roi, supervise l’administration des vicomtes ou se charge de la perception des taxes. L’Échiquier, administration financière centrale, reçoit les sommes d’argent indispensables pour mener à bien sa politique[9]. Avec ses réformes, Henri Ier affirme la modernité de la Normandie.

La Normandie des Plantagenêts (1135-1204) [modifier]

La mort inopinée du duc-roi en 1135 ramène le démon des querelles de succession car l’héritière désignée est une femme, Mathilde, la fille d’Henri Ier. Le royaume anglo-normand éclate. Mathilde, mariée au comte d'Anjou Geoffroi V d’Anjou dit Plantagenêt, ne parvient pas à dominer le duché de Normandie tandis que son cousin, Étienne de Blois, lui souffle la couronne d’Angleterre. Les barons normands profitent du conflit entre ces deux prétendants pour reprendre leur indépendance. L’anarchie dure jusqu’en 1144.

À cette date, Geoffroi V d’Anjou réussit à s’imposer comme duc de Normandie. En 1150, il cède son duché à son fils Henri, beaucoup plus populaire, car il descend par sa mère Mathilde de Henri Ier Beauclerc. En 1151, en plus du duché, le fils de Geoffroi et de Mathilde hérite des comtés de Touraine, du Maine et d’Anjou.

Son ascension ne s’arrête pas là : un an plus tard, le nouveau duc épouse l’héritière du duché d'Aquitaine, Aliénor. Il a ainsi la main sur le sud-ouest français. Ensuite, l’infatigable duc Henri débarque en Angleterre et pousse le roi Étienne de Blois à un accord : ce dernier l’adopte et en fait l’héritier de la couronne. Henri II le remplace effectivement à sa mort en 1154. Il n’a alors que 21 ans.

Le roi de France Louis VII (1137-1180) qui voyait avec plaisir se déliter le royaume anglo-normand après la mort d’Henri Ier se rend compte qu’un ennemi gigantesque s’élève en face de lui. Non seulement, l’unité anglo-normande est refaite comme au temps d’Henri Ier mais cette fois, les possessions continentales ne se limitent pas à la Normandie. Elles vont jusqu’aux Pyrénées ! En 1156, le Plantagenêt rend hommage au roi de France pour ses fiefs continentaux. Ce geste n’a rien de contraignant pour Henri II. Il sait qu’il reste le seul maître de ses États. Louis VII de France est en effet incapable de bousculer l’extraordinaire puissance de celui que les contemporains qualifient de " plus grand monarque d’Occident ".

Nuançons tout de même la puissance d’Henri II. À territoire immense, problèmes et théâtres d’opérations nombreux. Au sud, offensive contre le comte de Toulouse, à l’ouest, installation d’un des fils d’Henri II, Geoffroy, comme duc de Bretagne ; au nord, combats contre les Écossais et les Irlandais ; à l’intérieur, querelles avec l’Église anglaise recherchant une certaine indépendance vis-à-vis du roi.

Dans cet ensemble, la Normandie joue le rôle de pivot du vaste empire Plantagenêt. C’est le lieu de passage principal pour le roi traversant la Manche, la liaison entre les deux parties de son Empire. La Normandie, c’est enfin l’enjeu du combat entre les Plantagenêts et le roi de France. Louis VII ne peut se résoudre à voir son domaine royal encerclé, les voies de la Seine et de la Loire contrôlées par son ennemi. Le roi de France exploite alors toutes les possibilités qui pourraient affaiblir Henri II. Louis VII de France, puis son fils Philippe Auguste (1180-1223), attisent notamment la rivalité entre Henri II et ses fils. Cette rivalité se transforme en révolte en 1173 mais le duc-roi parvient finalement à contraindre à la paix sa descendance.

En 1189, une nouvelle fronde des fils d’Henri II a raison du vieux roi. Deux jours avant sa mort, il cède ses couronnes à son fils aîné Richard, allié de Philippe Auguste. Mais leur ennemi commun mort, cette alliance n’a plus de raison d’être.

La conquête du duché par le roi de France (1194-1204) [modifier]

L’affrontement entre le roi de France Philippe Auguste et le nouveau roi d’Angleterre Richard (surnommé Cœur de Lion) commence en 1194. La Normandie est le principal théâtre d’affrontement. Si le champ de bataille donne souvent raison à Richard (victoires de Courcelles-sur-Seine et de Fréteval), Philippe Auguste se révèle particulièrement habile dans les négociations et dans les intrigues. Résultat, le Français réussit à obtenir lors de traités de paix quelques places fortes normandes : Gisors, Pacy-sur-Eure, Vernon, Gaillon, Ivry, Nonancourt. La ligne de défense sur l’Eure, l’Avre et l’Epte, édifiée et renforcée progressivement par les ducs de Normandie, est entamée. Pour compenser ces pertes, Richard érige près des Andelys une forteresse qui reprend les dernières améliorations militaires de l’Orient : Château-Gaillard sort de terre en un an seulement (1196-1197).

La mort accidentelle de Richard Cœur de Lion en 1199 bouleverse ce statu-quo. Son successeur, son frère cadet, Jean sans Terre (surnommé ainsi parce que son père n’a jamais pu lui donner des terres en héritage) n’a pas la stature au sens propre comme au sens figuré de Richard : c’est un faible, peu attaché à accomplir les devoirs de sa charge. Philippe Auguste sait en tirer profit. L’armée française entre en Normandie en 1202. Château-Gaillard tombe au bout de six mois de siège. Rouen capitule le 24 juin 1204. En deux ans seulement, le duché est conquis.

Comment expliquer cet écroulement ? Il semble que les Normands n’aient pas soutenu de tout leur cœur les Plantagenêts. Peut-être parce que ces derniers conservaient moins d’attaches avec la Normandie que les premiers ducs. Ajoutons aussi la lassitude des Normands face à la guerre et ses conséquences (augmentation des impôts, rupture commerciale avec Paris). La facilité de la conquête doit également à l’existence d’un parti francophile parmi les barons normands[10].

La Normandie des Plantagenêts laisse place à la Normandie des Capétiens.

Historique après 1204 [modifier]

1204 : la fin du duché de Normandie ? [modifier]

Confisqué (commis) en 1202, le duché est dans les faits conquis par le roi de France Philippe Auguste deux ans plus tard[11]. Il entre dans le domaine royal. Les souverains anglais continuent d’y prétendre jusqu’au traité de Paris en 1259 mais ne conservent en fait que les îles Anglo-Normandes comme ancienne part du duché.

Peu confiant dans la fidélité des Normands, le roi de France installe des administrateurs français dans sa nouvelle possession et construit une puissante forteresse symbole du pouvoir royal, le Château de Rouen. La page glorieuse de l’histoire normande est tournée. Le duché n’est pourtant pas mort.

Au sein du domaine royal, la Normandie conserve une certaine spécificité. Tout d’abord, la Coutume de Normandie sert toujours de base pour les décisions de justice. En 1315, face aux empiétements constants du pouvoir royal sur les libertés normandes, les barons et villes arrachent au roi de France un texte : la charte aux Normands. Ce document n’offre pas l’autonomie à la province mais la protège de l’arbitraire royal. Les jugements de l’Échiquier, principale cour de justice normande, sont déclarés sans appel. Ce qui signifie que Paris ne pourra pas casser un jugement de Rouen. Autre concession importante : le roi de France ne pourra lever un nouvel impôt sans le consentement des Normands. Il faut toutefois avouer que cette charte, concédée à un moment où l’autorité royale fléchit, sera plusieurs fois violée par la suite, quand la royauté aura retrouvé sa puissance.

Le duché de Normandie survit surtout par l’installation intermittente d’un duc à sa tête. En effet, le roi de France confie parfois cette portion de son royaume à un membre proche de sa famille. Celui-ci prête ensuite hommage au roi. Philippe VI plaça ainsi son fils aîné, l’héritier du trône Jean II, duc de Normandie. À son tour, Jean II y nomma son fils l’héritier du trône Charles V qui était aussi connu par son titre de dauphin.